Contentieux administratif, démocratie et état de droit.

La Justice est une fonction régalienne mais les fonctions régaliennes ne sont pas, depuis longtemps dans notre société, celles qui mobilisent le plus les finances publiques, l’intérêt des citoyens et celui des gouvernants. La France produit beaucoup de textes législatifs et règlementaires mais l’intendance ne suit pas, du moins pas assez, et leur application se fait en pointillés. Il existe même des zones de non droit, ce qui est un comble dans une démocratie  où l’égalité en droits figure dans la devise de la République.

         Le juge administratif, contrairement  à l’autorité judiciaire n’a pas de procureur pouvant se saisir d’office des illégalités et si un contrôle de la légalité des actes des autorités décentralisées  est imparti aux préfets, il est dans les faits, pour des raisons tenant en partie aux moyens mais pas seulement, très limité. La violation de la loi est pourtant chose grave en démocratie et sa dénonciation  ne devrait pas échoir aux seuls citoyens qui en sont victimes. Si ceux-ci peuvent contester les décisions qui leur font grief, ils n’y sont pas tenus de sorte que de nombreux actes illégaux s’appliquent comme si le respect de la loi était secondaire et ne constituait pas un élément de l’ordre public. Les chiffres peuvent laisser penser que les victimes des illégalités engagent   de plus en plus des recours (hausse de 8,6% des recours aux TA de 2018 à 2019). En réalité, elles hésitent encore à saisir le tribunal administratif parce qu’elles  croient, à tort certes, que le pot de terre (elles) est de peu de poids face au pot de fer (l’auteur de la décision), parce qu’elles craignent le coût et le temps du procès ainsi que les pièges du contentieux que constituent les règles de compétences (le partage des compétences n’est pas toujours très évident entre le juge judiciaire et le juge administratif et des affaires banales sont allées jusqu’au tribunal des conflits), de recevabilité (délais, qualité et intérêt pour agir). Il n’est pas à cet égard surprenant que le contentieux qui a le plus augmenté soit celui de la fonction publique qui concerne des requérants plus familiarisés avec ces questions et qui,  avec leurs organisations professionnelles, sont plus à même de détecter les illégalités entachant les actes les concernant. Ce contentieux représentait 10% des entrées en 2009, il en représente 19% en 2018, occupant ainsi la 2ème place dans le classement par matière. La 1ère place revient au contentieux des étrangers qui est passé de 25,2% en 2009 à 40%. Cette évolution interroge. Est-elle en lien avec un durcissement des conditions de délivrance des titres de séjour, une plus grande rigueur dans l’application des règles  posées par le code de l’entrée et du séjour des étrangers en France, un accroissement des demandes ou encore une proportion plus importante de recours formés par les étrangers avec le soutien d’associations ?

Mais si le contentieux de la fonction publique et des étrangers représente désormais 59% des requêtes soumises aux TA, c’est que la part des autres contentieux se réduit et comme il est illusoire d’expliquer cette évolution par une application plus rigoureuse par les autorités compétentes de la règle de droit, c’est inquiétant.  Le contentieux de l’urbanisme et de l’aménagement ne représente plus que 5,3% des litiges soumis aux TA (à comparer à 7,2% en 2009). C’est difficilement compréhensible alors que des pressions électoralistes s’exercent tout particulièrement en ce domaine ; mais les heureux bénéficiaires d’autorisations de construire ou d’aménager en délicatesse avec les règles de droit ne vont pas s’en plaindre et les voisins, soit par crainte des représailles soit parce qu’ils craignent de ne pas y arriver, renoncent souvent à s’engager dans un procès. Mais la défiance de la population envers les institutions en général et plus particulièrement envers les autorités décentralisées se nourrit en partie des passe-droits qui ne sont pas sanctionnés. Sans la vigilance des associations dans les domaines de l’environnement et de l’urbanisme et de l’aménagement, l’application des règles de droit qui sont protectrices de l’intérêt général serait à géométrie variable pour ne pas dire aléatoire.

Dans une société où l’émotion tend à l’emporter sur la raison et  la morale sur le droit, la légitimité sur la légalité, l’individualisme sur la solidarité, les intérêts particuliers sur l’intérêt général,  l’état de droit s’affaiblit dangereusement. Le caractère universel et permanent de la loi qui s’oppose à une morale aux contours imprécis et variables, le principe d’égalité de tous les citoyens devant la loi et les charges publiques, ainsi que la laïcité sont pourtant un rempart contre  les inégalités entre les citoyens.

D.Devillers

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