FOLIE, un grand moment de théâtre

 

Folie, jouée à l’Artchipel les 20, 21 et 22 octobre, est la troisième pièce théâtrale tirée par José Pliya de la trilogie « Amour, folie et Colère », roman de Marie Vieux Chauvet, romancière et dramaturge haïtienne  née en 1916 à Port au Prince dans une famille de la bourgeoisie intellectuelle. 

Le roman a été écrit en Haïti en 1960 sous la dictature de François Duvalier ; il ne sera publié qu’en 1968, en France, par l’intermédiaire de Simone de Beauvoir à qui Marie Vieux-Chauvet a adressé le manuscrit et qui sut convaincre les Éditions Gallimard  de son intérêt. Pour autant, les risques auxquels la diffusion de l’ouvrage exposait la famille de l’auteure conduisirent celle-ci à y renoncer en rachetant le stock. La même année, pour sa propre sécurité, la romancière partit définitivement  s’installer à New-York où elle décédera en 1973.

La pièce de José Pliya est, comme AMOUR et COLERE, un monologue. La mise en scène de José Exilis en souligne la dimension tragique par son extrême sobriété et son esthétique du dénuement. Unité de lieu avec un cercle d’argile ocre-rouge qui est tout à la fois le cercle de famille et celui du conteur créole, cercles rassurants, mais aussi le pitt à coqs, l’arène des corridas et des luttes antiques, autrement dit le lieu d’expression de la cruauté et de la folie des hommes. Unité de temps : les trois phases de la lune, montante, pleine et descendante projetées sur le mur de la scène. La lune des poètes mais aussi celle des grandes marées et des tempêtes. Ce dépouillement délibéré sert le texte et dans les moments de tension extrême où de la bouche ne sort plus aucun mot, les fortes sonorités de musique lyrique et l’expression corporelle s’allient pour exprimer l’indicible.

 

 La comédienne et danseuse  Yna Boulangé interprète  avec beaucoup de force et un double talent  le rôle de Cécile, la jeune fille de la belle maison d’à côté, la jeune fille inaccessible, dont René, le poète fou, dans la mansarde d’en face, est follement amoureux. C’est Cécile qui, dans la pièce, narre l’histoire de la folie de René, la folie de cet être trop sensible pour supporter la violence du présent et qui, privé d’espoir, s’oublie avec ses comparses dans un mauvais rhum. La folie et l’alcool lui font imaginer toutes sortes d’abominations ; René vit un long et terrible cauchemar qui pourrait être mais n’est pas la réalité. Son délire  le conduit à commettre  un acte stupide qui mène à son arrestation et à une mort certaine. Mais sa mort lui conférera l’immortalité dont jouissent les martyrs  et ce sera  sa revanche et celle de Cécile et du peuple haïtien. Ce poète fou  à moitié clochardisé deviendra un héros dans la mémoire collective et c’est peut-être dans ce but Cécile n’a pas témoigné en sa faveur et tenté de le sauver.

 

Le texte sobre et fort de la pièce de José Pliya pose comme le roman la question de l’abus du pouvoir et du devenir de l’homme, privé de liberté, vivant en huis-clos durant des années de dictature cynique et violente où le mot même de Justice est oublié. Marie Vieux-Chauvet a situé l’histoire dans un lieu, Haïti, à une époque, celle des dictatures de Duvalier père et fils. La mise en scène, par la projection sur l’écran géant  du mur de la scène de photographies des grands conflits du monde entier à diverses époques élargit délibérément le débat. Les Duvalier n’ont pas le monopole de l’abomination, celle-ci s’est manifestée et se manifeste ailleurs.  Il faut être vigilant partout et toujours !

 

La poésie, la culture, l’intelligence  peuvent-elles immuniser les peuples contre la violence, le cynisme et l’injustice ? Peuvent-elles empêcher l’arrivée au pouvoir des dictateurs ?

 

Danièle DEVILLERS

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