Décryptage

Que faut-il dire aux guadeloupéens à l’approche des élections demars 2026 ?

Dans un article de la Revue « Les humains Associés » datant de 1996, le célèbre prospectiviste Jean Staune, auteur d’un livre remarquable intitulé « Jésus, l’enquête », pose une redoutable interrogation tirée de Saint-Exupéry : « Que faut-il dire aux hommes en cette fin du XXème siècle ?

Nous aimerions cette semaine reprendre cette même question en se la posant à nous Guadeloupéens.

Que faut-il nous dire en ces temps troublés ?

D’abord notons un extrait de la réponse de Saint-Exupéry retenu par Staune : « Il n’y a qu’un problème, un seul de par le Monde. Rendre aux hommes une signification spirituelle, des inquiétudes spirituelles, faire pleuvoir sur eux quelque chose qui ressemble à un chant grégorien. On ne peut vivre de frigidaires, de politique, de bilans et de mots croisés, voyez-vous ! On ne peut plus vivre sans poésie, couleur ni amour. Rien qu’à entendre un chant villageois du quinzième siècle on mesure la pente descendue.

Il n’y a qu’un problème, un seul : redécouvrir qu’il est une vie de l’esprit plus haute encore que la vie de l’intelligence. Et la vie de l’esprit commence là où un être « un » est conçu au-dessus des matériaux qui le composent. »

A elle seule, cette réponse vaut plus d’un traité de sociologie ou d’économie politique. Elle va directement à l’essentiel. Elle résume une idée de plus en plus répandue suivant laquelle, il n’est plus possible d’avancer sans faire l’économie d’une véritable révolution spirituelle pour sortir la planète de l’impasse dans laquelle le système capitaliste obscurantiste, avec le concours parfois d’experts plus brillants les uns que les autres, la propulse. En clair les solutions économiques qui semblent tant préoccuper les décideurs ne viendraient certainement pas du domaine économique.

Ceci posé, il convient maintenant d’examiner cette question à l’aune de nos propres difficultés en vue du renouvellement des conseils municipaux et communautaires.

Dans un précédent article portant sur la politique (La politique : de la cité grecque à la Guadeloupe) nous avons nommé un certain nombre de dysfonctionnements que tout le monde peut également saisir : une impuissance publique à gérer l’eau, le chômage, les sargasses, la violence notamment des jeunes.

On pourrait aussi ajouter une gestion calamiteuse de certaines administrations publiques et privées, des atteintes à la probité en nette augmentation, des violences conjugales persistantes, des homicides qui excèdent maintenant le cadre familial alors que pendant longtemps la violence sociale en Guadeloupe était largement intrafamiliale.

Sur le plan économique en Guadeloupe, le nombre de défaillances d’entreprises augmente de 9,3 % en décembre 2024 par rapport à 2023 (+17,4 % pour la France entière). En cumul sur l’année 2024, 341 entreprises guadeloupéennes ont été placées en redressement ou en liquidation judiciaire.

Si l’on prend en compte l’endettement des ménages en Guadeloupe et les îles du nord en 2024 on s’aperçoit que les dépôts de dossiers ont augmenté de 23 % par rapport à 2023, atteignant 662 dossiers, niveau supérieur à celui de 2019. Les ménages surendettés sont majoritairement des femmes (74 %), souvent avec enfant(s) (41 %).

Ce tableau largement incomplet n’a d’autres objectifs que de nous faire comprendre que le temps de réagir est venu.

Bien entendu, à l’approche des prochaines élections une petite musique d’abord lancinante, aujourd’hui devenue un bruit assourdissant semble couvrir de façon nauséeuse le débat démocratique actuel.

Dans ce contexte, un certain type de discours laisse entendre que l’on aurait déjà tout essayé, par conséquent il serait souhaitable, voire louable de « laisser la place au parti de Marine, » devenue en Guadeloupe aujourd’hui aussi un prénom accolé à son lieutenant Jordan Bardella.

Il faut avoir le courage de dire très tôt à chaque Guadeloupéen, la raison doit l’emporter sur l’émotion.

Pour comprendre, il faut partir de loin, remonter à la source. Et là on a une chance de bien suivre tous les méandres. Il est urgent de renoncer aux facilités et bien reconnaître qu’un chat est un chat. Le RN est un parti d’extrême droite qui s’est toujours rangé du côté des puissants.

 Dans l’Hexagone d’éminents philosophes professant un républicanisme de bon aloi annoncent déjà la couleur. Pour eux, le RN est désormais dans l’arc républicain. De plus Marine n’est pas raciste. Bardella non plus. Ils ont simplement opté pour la préférence nationale.

En Guadeloupe, chez nous, au nom du chômage qui frappe les jeunes en particulier, on entend ce même discours apparemment légitimes et justes. Et c’est là que notre lucidité, notre sens de l’égalité, notre sensibilité à la souffrance, notre humanité et surtout notre irremplaçable littérature antillaise, d’Aimé Césaire à Ernest Pépin, de Gisèle Pineau à Maryse Condé, de notre immense Simone Schwarz-Bart et de son mari André, l’ami-frère du peuple à Édouard Glissant, notre belle littérature donc nous livre un enseignement d’une lumineuse beauté.

Nous sommes faits pour l’amour et non pour la haine.

Cette littérature témoigne d’un art d’aimer de nos gwan moun. Une manière de dousiné la vie pou di vwè misè pa mò. Nos terres chantent tout moun sé moun. Notre humanité ne part pas et ne se diffuse pas de degré supérieur en degré moindre en cercles concentriques de notre sœur vers le lointain. En pays de créolisation, nous regardons mêmement le Fils et l’Étranger. Il faut donc dire  et simplement aux Guadeloupéens.

Refusons les funestes, tristes et ténébreuses réponses du RN aux impétueuses interrogations d’un monde déboussolé. Consentir à ces réponses serait ajouter du malheur au malheur.

Rudy et Tony ALBINA

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