La GUADELOUPE et mister TRUMP

Sinousavonslesyeuxnaturellement tournés versdemain,lavenirnousramènesouventaupassé.Encedébutdannée2017,cestlesouvenirdusauvetagedelanoyade,ilyatoutjuste28ans,parDonaldTrump,dunefilleautiste aux Saintes,LevanahCohen,quiremonteàlasurfacedelamémoireévènementielleetdeseauxturquoisesdel’Anse.du Bourg.

Acetteépoque,lactuel patron delaMaisonBlanchemaisdéjàrichissimehommedaffaires(carpropriétairedepuis1983dunetouréponyme aux appartements parmi les plus chers de Manhattan à New York)passaitdesvacancesdanslesCaraïbesetavaitmouillésonyachtdanslunedes plus esthétiques baiedu monde.Ilsetrouvaitsurlaterrassesurélevéedukiosqueducaféprisédesmarinsdepassage dans l’archipel.

Convertibrusquementalorsensauveteurenmer,ilétaitloindesimaginerquilferaitunjour(le7décembredernier)launeduquotidiendelapresse guadeloupéenne et qu’il servirait de faire-valoir médiatique à un père gérant, dans le bourg, d’une boutique et d’un atelier d’artiste-peintre jouxtant la rade de Terre-de-Haut, scène du drame. De nos jours, deux des trois établissements sont encore en activité commerciale, l’un « le Mahogany » (la boutique précitée), l’autre le « Café de la marine ». Son ancien atelier quant à lui fait maintenant office de case stylisée de bord de mer.

Un acte de bravoure qui prend tournure historique

Circonstance de lieu, bénédiction de la géographie du volcanisme sous latitude tropicale, contingence de l’économie touristique,  marque d’intérêt précoce pour l’Amérique Centrale insulaire de la part de celui qui n’est alors qu’un promoteur hors pair ciblant la clientèle internationale, ou opportunisme mièvrement paternel du sieur Cohen, ou professionnalisme journalistique de Martin Laventure (de France-Antilles) et d’Olivier O’Mahony  (de Paris Match) ? Quoi qu’il en soit cet évènement prend tournure historique depuis l’élection du bouillant milliardaire à la crinière blond vénitien même s’il est devenu « l’homme le plus moqué d’Amérique » (dixit Olivier O’Mahony). Incontestablement un lien, certes ténu, mais plus qu’anecdotique s’établit dorénavant entre les Etats-Unis et la Guadeloupe. Service de presse de l’élu le plus puissant du monde oblige ! Car dès ce geste humain perpétré en terre guadeloupéenne révélé par Yves Cohen, l’occasion fut belle d’enrichir, à presse déployée, la biographie du prochain locataire du fameux bureau ovale à Washington … Désormais, par association d’idées et automatisme de la pensée, les Guadeloupéens seront enclins à associer la figure iconique trumpienne à celle du village de Terre-de-Haut des Saintes lové dans sa baie circulaire.

Photo 1 et 2  Théâtre du drame :l’Anse du Bourg au sein de la Baie des Saintes, d’où on aperçoit le Café de la marine(cliché Max Etna) ; et la boutique, le Mahogany (clichés Max Etna)

Mais ce lien n’en est qu’un de plus au regard des relations diplomatiques, le plus souvent méconnues, entre deux territoires pour le moins si disproportionnés et dissemblables. Il s’apparente à une connexion institutionnelle qui n’est pas nouvelle et qu’il convient, à nos yeux, de mettre en exergue dans le concert géopolitique zonal d’aujourd’hui. Mes deux séjours récents à New-York puis aux Saintes, en décembre 2016, m’ont persuadé d’en exhumer la quintessence.

Rappelons d’abord la toute première jonction : le « complot séparatiste » de 1899, dans le contexte  annexionniste des USA à Cuba et Porto Rico. Comme par hasard, la situation d’alors en Guadeloupe inspire les nombreux rapports et dépêches du consul américain, Louis H. Ayme, basé à Pointe-à-Pitre, auprès de sa hiérarchie. Ceux-ci sont largement suscités par les notables et politiciens, pour la plupart usiniers blanc-pays alliés du capital et excédés par la victoire, en 1898, du premier grand élu socialiste noir au sortir de l’esclavage: Hégésippe Jean Légitimus. Florent Girard, ancien maire et conseiller général du Moule, dans la biographie qu’il publie sur ce « Jaurès noir », dévoile un florilège d’extraits de ces transmissions à Washington .

Les velléités d’annexion des USA aux Antilles

Sélectionnons-en trois des plus explicites de leur état d’esprit  tendant à considérer qu’il était temps de neutraliser la mauvaise graine autochtone ! : « Tous les maux qui accablent les nègres et la colonie sont imputables à leurs efforts grotesques pour légiférer par eux-mêmes (26 avril 1899) » ; « Quand le Canal de Panama sera achevé, si nous désirons établir une base de ravitaillement, il n’est pas d’île dans cet archipel caraïbe qui soit aussi bien adaptée à ce projet, que la Guadeloupe … (27 mars 1899) » ; « Il se peut que nous ayons un devoir pénible à accomplir ici, soit après une révolution des Nègres, une pétition des notables, une offre directe de cession par la France. Une fois éradiquées l’incurie et l’anarchie, avec les capitaux américains la Guadeloupe serait un des endroits les plus riches et les plus beaux de la Terre (11 mai 1899)».  Pis,  le camp du lobby colonial trouva de surcroît plus de matière à comploter à cause du climat « chaud » du buzz des incendies à répétition qui affectèrent l’île de mai 1898 à mai 1899, calamité imputée aux partisans de Légitimus. A tel point qu’il commandite un messager, le sénateur Alexandre Isaac, un court instant abusé, pour interpeller le 29 mai 1899 le gouvernement, heureusement sans succès. Un mois avant, le 23 avril, à l’occasion de l’arrivée du croiseur Sfax de la flotte de l’Atlantique commandé par le capitaine de frégate Cofinières de Nordeck, le consul, pour assurer sa sécurité dit-il, demande l’autorisation de réclamer à l’amiral américain Sampson qui patrouillait dans la zone, l’envoi d’un de ses navires de guerre à Pointe-à-Pitre ». Le gouverneur français en place, Delphino Moracchini, réaliste sur les rapports de force des partis politiques dans la colonie,  déjoue cette mise en scène en lui répondant vertement que « La France refuse car elle a tous les moyens pour garantir la sécurité des étrangers et des consuls sur son territoire ». Ceci n’empêchera pas quelques jours plus tard à Cofinières de Nordeck, lors d’une des réceptions mondaines organisées à bord au cours de laquelle un toast fut porté aux Etats-Unis, de déclarer : «  La chose la plus sage que la France puisse faire avec cette colonie serait de l’offrir aux USA avec une prime pour les inciter à l’accepter »… Mais, dernier acte, à la barbe du consul et de ce militaire, la flotte américaine de Simpson, se contentant de passer sans s’arrêter en vue de Basse-Terre, s’était empressée de quitter la zone pour se rendre au jubilé de la reine Victoria, mettant un terme ainsi à ce climat délétère.

Seconde manifestation d’ « attention plus que bienveillante » (pour employer une expression euphémique) de notre grand voisin du nord envers la plus grande des îles des Petites Antilles : la venue du 26 éme président américain (1901-1909), Théodore Roosevelt alors en villégiature avec son épouse. Notons qu’il fut malgré tout reçu officiellement dans les communes de Capesterre et de Goyave où des réceptions eurent lieu pour faire honneur à son rang. Une carte postale d’époque en témoigne (février1916). S’agit-il d’un simple acte touristique dans « le plus beau pays du monde », selon lui, ou d’un prélude à la présence américaine qui s’avérera effective au cours de la Seconde Guerre Mondiale ? Réponse à débusquer dans les archives fédérales des Etats-Unis ! Mais la politique du « big stick » (« gros bâton ») de Théodore Roosevelt laisserait plutôt à croire en l’espèce à une ingérence déguisée dans la zone d’influence traditionnelle des USA… Car il semble difficile de ne pas accréditer cette thèse lorsque l’on sait qu’avant d’avoir contribué à la prise de possession du Canal de Panama, il s’aventurait, non sans fondement, en 1897, à jouer les idéologues du camp républicain,  en mettant à son crédit ce propos engagé « I should welcome almost any war this country needs one ».

La tentation continentale

En effet, des velléités d’annexion se précisent dès avril 1940 pour disparaitre avec le départ des gouverneurs vichystes et la fermeture du consulat américain en avril 1943. Usons à cette fin démonstrative, entre autres de l’article fort documenté Vichy aux Antilles et en Guyane de l’historien martiniquais Léo Elizabeth paru en 2004 dans «Outre-Mers Revue d’Histoire ». Et mentionnons principalement l’action du sénateur démocrate Reynolds qui relance le projet d’acquisition des îles françaises pour assurer la défense du Canal de Panama. La Conférence panaméricaine de juillet de la même année à la Havane va beaucoup plus loin en matière d’intervention : elle « prévoit la possibilité d’occuper un territoire menacé pour y installer une administration provisoire chargée, le danger passé, de l’aider au besoin à former un Etat autonome ». Suivent une série de menaces à peine voilées d’occupation parmi lesquelles on retiendra les discussions, en novembre 40 entre  l’amiral américain Greenslade qui obtiendra de l’amiral-gouverneur Robert une commission américaine d’armistice relative au déplacement des navires de guerre et de commerce en échange de l’assurance du ravitaillement des îles de Guadeloupe, Martinique et de Guyane en sources d’énergie et en vivres, ensuite les rondes de deux navires de l’US Navy devant la Martinique le 31 janvier 41. S’enclenche après, le passage de Franklin D. Roosevelt  au terme duquel une campagne de presse relance le dossier de l’installation d’une base aérienne et navale, puis la déclaration de l’ambassadeur Henry Haye, en août 41 visant à l’occupation éventuelle de la Martinique en y installant une espèce de condominium sans transfert de souveraineté. Ce qui valait pour la Martinique valait aussi pour la Guadeloupe puisque sous le commandement général armé de l’amiral Robert, basé à Fort de France. Du reste, la Guyane, elle, a connu l’installation d’une base aérienne américaine relais au Galion d’abord (avril 42) puis un camp sur le terrain baptisé Rochambeau (avril 43). D’autres îles comme Antigua, Sainte-Lucie et Aruba subiront durablement la présence yankee.

Plus spécifiquement chez nous, l’affaire de la société sucrière new-yorkaise Olivaria mise au jour lors du débat politique contradictoire entre le communiste Amédée Fengarol et le SFIO Paul Valentino, dénote qu’à la même période le lobby affairiste états-unien s’intéressait de près à notre archipel.

Photo 2 La tour du milliardaire Donald Trump à Manhattan (cliché Max Etna)

Enfin, mais dans une atmosphère beaucoup moins cyclonique du fait de l’alliance des démocraties occidentales, en 1979 le président Jimmy Carter a été accueilli par Valéry Giscard d’Estaing, Helmut Schmidt et James Callaghan pour le sommet de Guadeloupe, à Saint-François. Il s’agissait de procéder à « une évaluation du monde » et à une consécration officielle des droits de l’homme portés par le premier cité. A succédé une période – nonobstant l’incursion à la Grenade – qui a permis l’émergence d’une vraie détente diplomatique, notamment avec le dégel cubano-américain voulu par Barack Obama.

Mais rien n’est figé en géopolitique et l’intronisation du sauveteur des Saintes va t-elle – en dépit de ses déclarations protectionnistes – se conjuguer avec le retour de la théorie Monroe, initiateur de la notion d’arrière-cour comme il aimait appeler la zone caraïbe voire latino-américaine ? A commencer par la « Grande Ile » , pour des raisons de proximité géographique… ? Indiscutablement Donald Trump, son Secrétaire d’Etat, et l’état-major et les stratèges du Pentagone sacrifieront à l’élémentaire exercice de l’analyse cartographique et des rapports de voisinage en termes de solidarité historico-diplomatique et de discontinuités physiques et environnementales. Auront-ils en leur qualité de Républicains la force de résister à la tentation continentale qui veut que les grands bassins spatiaux, démographiques et économiques éprouvent presque naturellement ce besoin d’en découdre avec les entités insulaires contigües par définition fragiles, vulnérables et qui ne font pas masse ? La brûlante question des revendications territoriales en Mer de Chine,  Mer du Japon et Mer d’Okhotsk prouve, s’il en était besoin, que la géographie ça sert non pas d’abord mais parfois aussi à faire la guerre, pour ajouter un bémol à la formulation iconoclaste du géographe Yves Lacoste.

Max ETNA (Géographe)

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